Toujours positive, elle résume l’année 2017 ainsi : « Je n’ai eu ni inondation ni grêle, alors que certains ont vu leurs serres et tunnels-chenilles arrachés par le vent. Quand on se compare, on se console. Ce fût un bel été et un bel automne, mais un printemps désastreux qui a eu des graves conséquences sur les récoltes. À toutes les fois qu’on voulait entrer dans les champs, ou la pluie se mettait de la partie ou on n’avait pas d’employés. Dans les champs, les mauvaises herbes ont pris le dessus et des productions ont été abandonnées, sans être récoltées. J’ai récolté mes premières carottes malgré tout; mais il y avait beaucoup trop de mauvaises herbes et le rendement fût moindre qu’escompté! J’ai fait mon deuxième semis de carottes le 10 juillet. Imagine, le 10 juillet!
C’est vraiment tard! Mais comme l’automne fût clément, j’ai pu me racheter un peu… » 

Guylaine a appris le métier d’agriculteur sur le tas, par elle-même. Sous-chef à l’auberge Godefroy au tournant du millénaire, elle connaissait les mini légumes via Hector Larivée que Jean Leblond, célèbre agriculteur de Charlevoix, fournissait. En 2001, elle est allée le rencontrer et, en homme généreux, il lui a offert plants, semences, revues de semenciers et judicieux conseils pour qu’elle puisse tenter sa chance sur ses terres du Centre-du-Québec. Moult laitues et autres légumes ont poussé lors du premier été d’essai, elle en donnait à plusieurs, à l’Auberge St-Pierre, au Baluchon, à l’Auberge Godefroy, car elle en avait trop. Elle a mené en parallèle les carrières de sous-chef et d’agricultrice pendant 2 étés, puis son cœur a penché pour le travail de la terre lorsque Hector Larivée lui a promis d’acheter ses produits. La production maraîchère à plus grand échelle, Guylaine ne connaissait pas cela. À force d’essais et d’erreurs, de formations ponctuelles, de conseils d’autres agriculteurs ou d’employés expérimentés, elle a fait son chemin et pris sa place sur le marché de la restauration au Québec. Elle a gagné le prix Renaud Cyr en 2015 comme artisan producteur et, elle l’avoue candidement, elle n’est pas gênée de dire que c’est grâce à Jean Leblond qu’elle a lancé son entreprise. 

À ses yeux, chaque client est important, le consommateur, comme le petit ou le grand restaurant. Outre Hector Larivée, ses principaux clients sont les chefs de file de la restauration haut de gamme; on y retrouve l'Auberge Godefroy, le Manoir Hovey, La Table du Chef, la Maison Boulud, le Ritz, le Reine Élizabeth, Chez L’Épicier ou encore le Manoir du lac William… Quand elle prépare les commandes, personnalisées à chacun de ses clients, elle s’assure que tout est beau. Elle aime recevoir les commentaires des chefs, elle souligne avec raison l’importance de satisfaire ses clients. 

La conversation bifurque vers le juste prix des aliments, qui, en fait, est pour elle une reconnaissance de l’immense travail qu’il y a « derrière » la production, et aussi, trouver des façons d'éviter le gaspillage. « Si les gens comprenaient, si les gens savaient ce que produire demande, exige! Je viens d’une famille pauvre, je n’ai pas toujours mangé à ma faim quand j’étais jeune. La bouffe pour moi représente un partage, un bien précieux voire essentiel! Même si un produit est meurtri ou endommagé, il y a quelque chose à faire avec. » Le fait que tout le monde touche les produits à l’épicerie la choque un peu. « Les tomates sont belles à leur arrivée dans les étals, mais après une semaine, quand tout le monde les a touchés, les produits sont gâtés! Nos mains maganent les fruits et légumes. Le suremballage est pour cela, pour protéger les produits. 

Elle philosophe sur la sensibilisation des consommateurs, soutenant que s’ils venaient passer une semaine dans le champ, ils comprendraient mieux l’effort derrière le geste de nourrir le monde. « Tu sais, dans toutes les sphères de travail, l’agriculture est le premier milieu dans lequel il y a le plus de détresse psychologique et le plus de suicide. Quand on fait nos semis et qu’on espère que ça lève, et si cela ne lève pas, on rush (sic) dans notre tête car on a des créanciers, comment va-t-on les payer? Tu sais, dans toutes les sphères de travail, l’agriculture est le premier milieu dans lequel il y a le plus de détresse psychologique et le plus de suicide.» 


Elle prône le retour des cours de cuisine dans les écoles. « Avant, les femmes faisaient à manger. Aujourd’hui elles gèrent leur carrière qui leur importe beaucoup, mais elles cuisinent moins et connaissent peu les produits, ne sachant pas comment les apprêter. C’est un manque d’imagination. » Elle revient déconcertée de son récent passage au marché de Noël de Princeville : « Le consommateur est étonné de voir qu’il existe des betteraves jaunes ou chioggia ou encore des oignons cipollini. Parmi les produits que je proposais, il y avait du radis noir, une minorité connaissait ce produit. Les cours de cuisine devraient revenir dans les écoles pour initier les jeunes à la cuisine. Bien sûr les enfants salopent la cuisine mais c’est comme cela qu’ils apprennent! Les jeunes qui ont vu leurs parents cuisiner reproduisent ces gestes plus tard. Dans mon temps il y avait un cours d’économie familiale; nous apprenions un peu de tout : cuisine, couture, dactylo… Si des cours étaient donnés aux enfants sur les méthodes de cuisiner, la manière de faire l’épicerie, la compréhension la valeur de l’argent, tout ce qui entoure la préparation de la nourriture serait un plaisir, non pas une charge! En France les enfants savent c’est quoi du foie gras, connaissent beaucoup de produits. Ils sont initiés très jeunes à la bouffe. Ici c’est plus long, mais avec un éventuel retour d’un cours du genre de celui d’économie familiale, ils seront mieux outillés pour l’avenir. » 

Je lui pose mes deux questions usuelles : si elle était un fruit, pomme serait-elle. « J’adore les pommes et les canneberges! Les choses acidulées. Je n’aime pas ce qui est sucré. » Côté légume, elle choisit la carotte. Ce n’est pas pour rien qu’elle en fait autant de variétés dans ses jardins, me dit-elle en riant. 

Guylaine est fière, fière du Renaud-Cyr 2015… fière de faire ce qu’elle fait même si ce n’est pas très payant. Fière de contribuer à l’éducation du consommateur pour qu’il sache que ses produits sont faits au Québec, en campagne, fière que ses clients reviennent d’année en année, fière de la belle complicité qui s’est établie entre elle et les chefs qu’elle dessert. « Ma relation d’affaires avec Hector Larivée a commencé en 2003, c’est mon plus gros distributeur, j’ai une super relation avec tous les gens de cette entreprise, ils sont fidèles et ils connaissent la qualité de mes produits, et ils ne m’ont jamais abandonnée.  De surcroît, cette dernière est 100% québécoise! » 

Une paysanne entière, vraie, engagée, reconnue pour son ardeur au travail et les beaux et bons produits qui poussent dans ses jolis jardinets de Saint-Samuel. 

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