Avec un cours de boulangerie en poche, fait à l’École hôtelière de Montréal Calixa-Lavallée, il entame une formation en cuisine italienne dans la réputée école de la rue St-Denis. La boulangerie, comme la pâtisserie, donne de la rigueur car tout est mesuré et pesé au gramme près, et les étapes sont importantes pour garantir un résultat optimal. Comme on façonne un bon pain bien pétri et cuit à point, à la mie aérée et moelleuse et à la croute craquante, dorée et odorante, chef Sirois est passé par toutes les étapes d’apprentissage de la cuisine afin de se perfectionner, et ce à tel point qu’il a représenté l’équipe du Canada lors des dernières Olympiades de la gastronomie à Lyon en janvier 2023, lors du célèbre Bocuse d’Or.
 
Commencer par… un cours d’économie familiale !
 
On aborde l’entrevue en parlant de remettre dans le parcours scolaire des étudiants au secondaire, le cours de cuisine ou plus largement, d’économie familiale.  
« Ça fait longtemps que je le dis. C’est un gros manque selon moi. À part apprendre les rudiments de la cuisine de base, c’est là que j’ai appris à coudre un bouton, à réparer un pantalon, à réfléchir à un budget… Cela peut paraître anodin, mais aujourd’hui je suis capable de faire cela pour mes enfants, ce qui fait en sorte que je jette moins de choses, que je me débrouille mieux à plusieurs points de vue… Cela a aussi été mes premières armes en cuisine, car j’ai compris qu’en mettant la main à la pâte ce serait meilleur que ce qui est tout fait. C’est un cours qui m’a donné les outils pour apprendre à me débrouiller.
 
Lors du Bocuse d’Or en janvier dernier il y avait un nouveau volet intitulé « Feed the kid », qui impliquait de produire un menu à base de courge au goût des enfants… Il se jette à travers le monde des quantités phénoménales de courges, car ces beaux légumes sont boudés, faute de savoir les utiliser. Pourtant elles sont si faciles à cultiver et tellement nourrissantes, elles devraient être cuisinées ! Alors une partie du concours était de montrer nos capacités à utiliser des courges. Nous les avons proposées en entrée avec des canneberges et le miso Massawipi, un produit local. Puis nous avons cuisiné un gratin de courges au tofu et œuf poché, sauce aux graines de caméline. Finalement, nous avons concocté en dessert une pumpkin pie courge et érable. Tout cela pour dire que se débrouiller en cuisine c’est vraiment essentiel et que le cours d’économie familiale constitue un outil intéressant pour en apprendre les rudiments. »
 
L’art de marier les saveurs
 
« L’apprentissage des saveurs à marier est un long processus… celui qui m’a tout appris, tant sur le volet technique que sur la raison d’un mariage de saveurs réussi ou non est le chef Gilles Herzog. Il m’a ouvert les yeux, m’a appris les règles à respecter, les équilibres à atteindre, les façons d’ajouter à une recette l’ingrédient qui viendra rehausser une saveur, un peu comme on ajoute des notes sur une portée pour harmoniser un morceau de musique. Il y a une méthodologie pour apprendre les saveurs, il faut pour réussir trouver la bonne clef, mais il n’y a pas de mauvaise réponse non plus, il faut juste trouver un sens. Sur quoi met-on l’accent en premier ? Si l’on va dans tous les sens, cela donnera n’importe quoi dans l’assiette. Prenons par exemple un support (comprendre un ingrédient) qui mettra la courge en vedette ; la courge est de nature douce et de saveur relativement neutre. Donc il faut ajouter des ingrédients qui vont mettre en avant-scène les spécificités gustatives de la courge et non les cacher. Récemment j’ai fait une salade de courges cuites mais encore craquantes à cœur et au fromage Louis d’Or. C’était délicieux ; les saveurs douces de la courge se mariaient parfaitement avec l’acidité et le côté très lacté du fromage. Le fromage venait rehausser la courge et non la masquer. »
 
« Honnêtement, chef Herzog est le seul chef que je connaisse qui a un palais aussi développé, aussi pointu et intelligent dans la compréhension et l’harmonisation des saveurs. Personnellement, je ne l’ai pas de façon naturelle, mais l’acharnement et le travail assidu l’a forgé. On peut fonctionner par instinct mais on doit posséder un minimum de connaissances. Avant je faisais une cuisine cérébrale, mais aujourd’hui elle est plus instinctive car j’ai acquis et intégré des connaissances qui me permettent de le faire. J’ai compris comment aller chercher le côté wow d’un plat, le « Oumph » qui fait la différence. C’est un processus qui est long et lent, mais chef Herzog a su me l’inculquer. »
 
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage…
 
Comme chef Samuel Sirois est un professeur en formation supérieure à l’ITHQ, je lui demande comment il voit la relève. Je sens un sourire dans sa voix alors qu’il me confie que les jeunes ont, selon lui, un potentiel exceptionnel. « Le seul bémol que je peux émettre concernant la nouvelle génération, ou même la jeunesse en général, réside entre le vouloir et le pouvoir. Mais comme il est propre au fait d’être jeune que d’être idéaliste, j’ai parfois le sentiment qu’ils veulent profondément des choses sans nécessairement être prêts à utiliser tous les moyens nécessaires pour y arriver.  Parmi mes étudiants il y a certaines perles, j’ouvrirais sans crainte un resto avec eux car ce sont des travaillants. Alors voilà ce que je place dans le haut de la pyramide, il faut travailler pour réussir, c’est fondamental, crucial. C’est étrange à dire mais j’enseigne un peu comme le font les primates, c’est à dire par mimétisme. Je lave la vaisselle, je lève les filets de poisson, je passe le balai avec les étudiants. L’esprit de corps et d’équipe parle alors et cela fait en sorte qu’ils peuvent avoir confiance en moi, je suis avec eux, et à mon avis il n’y a pas d’enseignement possible s’il n’y a pas de confiance. »
 
L’air du temps

On aborde ensuite un sujet mille fois exploré mais toujours d’actualité, la faculté de se renouveler en cuisine. « Il faut sortir de sa zone de confort, toucher au côté multidisciplinaire de la cuisine. Aujourd’hui, il est en vogue d’aller voir le maraîcher et le producteur et de faire savoir à tous que l’on travailleur leurs produits. Je suis en harmonie avec cela mais au-delà de ces relations producteurs / utilisateurs, on doit comprendre qu’en cuisine un objet tout simple peut faire la différence. Prenons par exemple un poinçon utilisé par des enfants pour faire du scrapbooking. On le récupère en cuisine et, d’objet d’arts plastiques ou de bureau il devient un outil dont on se sert pour faire des garnitures dans une assiette. Il faut voir, faire les choses autrement, se remettre en question, ne pas penser que l’on détient la vérité, se mettre en danger. En ce moment, la saisonnalité et « localivarisme » sont à la page, mais comme dans tout, cuisiner demande un équilibre. Présentement je sens une certaine gêne à prôner cet équilibre. Soyons francs : un citron est un citron. D’accord, sur le plan environnement il faut importer le citron, mais un citron reste un citron et rien ne remplace tout à fait le citron. »
 
« En culture en champs, on fait toujours la même chose, on plante souvent les mêmes variétés, les mêmes produits. On oublie la biodiversité, on oublie l’équilibre dans la nature que crée cette biodiversité. Par exemple, le melon amer, on ne le cuisine pas chez nous et pourtant ce légume est exceptionnel en sauté. Il ne fait pas partie de notre culture culinaire… Il pourrait être cultivé en champs ici. Certains produits sont sous exploités car nous sommes fermés, encarcanés dans ce que l’on pense et ce que l’on connaît. Il y a eu de grandes avancées sur le plan culinaire au Québec mais il reste du chemin à faire. Nous sommes ouverts, effectivement, dans l’assiette, mais pas encore assez dans l’agriculture, dans ce que l’on sème dans nos champs. Lorsque l’on plante toujours les mêmes produits dans la terre, on la tarit et on l’épuise. On entre dans une zone de danger importante, et nous allons être confrontés, forcés à nous renouveler. Il faut également valoriser les fruits et légumes dans leur entièreté afin d’éviter le gaspillage dans un monde où une grande partie de la population ne mange pas à sa faim. »
 
Nous poursuivons notre discussion sur les produits que l’on cueille dans la nature, les fameux PFLN (produits forestiers non ligneux) tant à la mode présentement. Si le chef va aux champignons pour son plaisir et cueille pour cuisiner, il a un malaise face au fait que la cueillette ne soit pas mieux balisée. « Il est propre à l’être humain, lorsqu’il a accès à quelque chose, d’aller jusqu’au bout. Cela me fait peur car la cueillette en ce moment n’est pas raisonnée, réglementée. Si tu cueilles un champignon dont tu ne connais pas la comestibilité pour t’apercevoir par la suite qu’il est non comestible, tu vas le jeter, n’est-ce pas ? Mais en le cueillant, tu as détruit l’écosystème dans lequel il poussait. C’est un peu comme les boules sur une table de billard, tu en changes une de quelques millimètres et tout le jeu devient différent. Chaque élément a un impact sur le suivant.  Parlons simplement du compostage… c’est facile de mettre dans la poubelle, on n’a pas à sortir le bac de compost, ouvrir le sac, laver le bac… on n’est pas toujours sur la coche côté récupération, alors que cela devrait faire partie du jeu. Il faut aller jusqu’au bout, mais se conscientiser exige un minimum d’efforts. Grandir demande un effort et se tenir debout a un prix. Il faut arrêter de jeter des choses qu’on a produites car tout le processus devient alors un grand gaspillage.
 
Manger pour le plaisir
 
« Je mange parce que j’aime manger. Si je m’écoutais, je serais probablement obèse car je passerais mon temps à manger ! Je pourrais passer ma vie à table. » Son plat réconfort ? La pizza. Une bonne pâte, une bonne base, une bianca avec le fromage qu’il faut, sinon un bon pain et du fromage sont les choses lui viennent spontanément à l’esprit. « Sincèrement, je suis un amateur fini de fromages. C’est LA chose sur laquelle je peux me rabattre, d’ailleurs je vais choisir un fromage à la place d’un dessert à la fin d’un repas. J’aime tous les fromages, il n’y en a aucun que je n’aime pas. »
 
S’il était un légume, fenouil il serait. Le côté anisé, la fraîcheur et les notes mentholées du fenouil lui plaisent énormément. « Il y a tellement de choses à faire avec un fenouil. Ce légume a besoin de rien, il est puissant en saveur, il rend certains sandwichs exceptionnels… » Et s’il était un fruit, il serait une amélanche petite poire ! « Cette petite baie pleine de potentiel est un coup de cœur pour moi, avec ses notes d’amandes et son goût éclatant. En plus, elle pousse de façon sauvage chez nous ! C’est peut-être aussi ce qui me parle dans ce fruit, son côté sauvage et un peu dark, comme moi qui fait mes petites choses tranquillement dans mon coin. »
 
Chef Sirois, vous avez en effet travaillé fort - dans votre coin - pour arriver où vous êtes rendu, mais quelle personne lumineuse vous êtes lorsque vous parlez de votre métier et quelle fierté de vous voir représenter notre pays et performer de tous feux avec votre équipe. Chapeau !
 
Propos recueillis par Isabelle Ferland
Mai 2023

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