Avec sa gentillesse habituelle, chef Gagné avait accepté de créer des recettes mettant en vedette la canneberge, petit fruit indigène québécois duquel notre province est la deuxième productrice au monde. 

J’étais allée le rejoindre au Centre de foire ExpoCité, où, installé comme chef depuis quelques mois, il était le maître-d’œuvre des banquets de l’endroit. 

Fidèle à son passé de chef au restaurant La Traite de l’hôtel-musée des Premières Nations, chef Gagné avait concocté deux magnifiques recettes avec des produits bien locaux, soit une savoureuse crème caramel érable canneberge et un alléchant gravlax nordique de truite saumonée à la canneberge et au gin québécois, accompagné d’une marinade où les boutons de marguerites étaient à l’honneur. 

En 2019, le chef a pris les commandes des cuisines de l’Assemblée nationale, au Parlementaire. Enthousiaste, le sherbrookois d’origine a pu poursuivre sa carrière en mariant ses connaissances des produits du terroir et ses qualités de chef au sommet de son art. « … passionné par les produits du terroir, j’ai réussi à fusionner fine cuisine amérindienne et nouvelles tendances gastronomiques. Prenant un réel plaisir à relever des défis au quotidien, je désire mettre à profit mon expertise de plus de 25 ans en production et en création culinaire. Je souhaite ainsi contribuer au rayonnement de ce lieu historique, prestigieux et unique en son genre. Ma touche secrète ? L’adoption d’une vision nordique d’une cuisine qui me ressemble et convient bien à mon mode de vie. Cuisiner, c’est comme un voyage au cœur de soi et du monde… »

Chef Gagné me parle d’un projet l’ayant bien stimulé lors de son passage à l’Assemblée nationale : un jardin de fleurs et de plantes laurentiennes, qui vient compléter celui déjà bien enraciné sur le terrain du monument historique. « Nous nous sommes basés sur les cartes dessinées à l’époque de Jacques Cartier afin de mettre dans ce jardin des plantes qu’il avait identifiées lors de ses passages au Canada au début du 16e siècle. Alors un parcours composé d’arbustes et de plantes indigènes, telles que le myrique baumier ou encore le Ledon du Groenland (alias le thé du Labrador), de fleurs ancestrales et de champignons forestiers a été réalisé en 2020. » Ce parcours dans les jardins de l’Assemblée nationale a plusieurs vocations explique-t-il. « C'est un lieu de promenade et de découvertes avec identification des plantes afin d’améliorer l’expérience client pour les visiteurs, un lieu de récolte pour les chefs aux cuisines du restaurant Le Parlementaire, un lieu d’apprentissage et d’enseignement pour les férus d’horticulture ou encore les futurs chefs qui veulent en connaître plus sur les produits indigènes des Premières Nations.»  Un espace agrémenté d’un inukshuk a été ajouté en 2021, rassemblant des plantes associées aux peuples des Premières Nations.  

Les années passées au restaurant Le Parlementaire ont permis au chef d’explorer des nouvelles avenues culinaires et d’enrichir son curriculum, mais au printemps 2023 de nouveaux défis lui ont été proposés par le Groupe Grandio (anciennement Sportscène), et la tentation a été trop forte. Chef Gagné retourne ainsi à ses anciens amours en acceptant un poste de chef exécutif, offrant du support logistique et veillant à la création culinaire au sein du groupe. Son mandat ? Mettre ses qualités de rassembleur, son immense expérience acquise lors de ses passages dans différentes cuisines et ses connaissances des produits du Québec au sein du Groupe Grandio. De concert avec leur nouveau fournisseur, le Groupe Colabor, chef Gagné aura pour tâche d’accentuer le pourcentage de produits du Québec dans toutes les chaînes de la concession. 

« J’aime ça quand ça bouge et, rendu à 57 ans, je m’aperçois que dans toute ta carrière, tu es là pour évoluer. J’ai réalisé dernièrement que quand j’ai débuté comme chef à 27 ans, je remplaçais un chef qui lui était en fin de carrière.  Ce chef ne connaissait l’informatique, était moins au sus des nouvelles tendances, et je me revois, à ses côtés, en train de lui apprendre les rudiments d’un ordinateur ou de lui parler de cuisine asiatique revisité ou de chèvre chaud. C’est à mon tour d’y être, et aujourd’hui je supporte de jeunes chefs talentueux, j’apporte dans mon baluchon l’expérience et les jeunes chefs avec qui je travaille me poussent vers des choses différentes, audacieuses, de nouvelles tendances et façons de faire; de nouveaux défis quoi! Je grandis, j’apprends, je suis réellement à ma place, sur mon X comme on dit, encore plus maintenant que par toutes les années passées. La vie est un parcours qui ne s’arrête pas, qui continue d’évoluer d’année en année. Culinairement parlant, j’apprends d’autres façons de faire avec les jeunes, sur la gestion d’une cuisine ou sur certains outils informatiques, et de mon côté, je leur apprends des choses aussi. C’est très valorisant cette façon « donnant donnant » de travailler. »

Chef Gagné me parle aussi de sa découverte récente de l’intelligence artificielle en cuisine. « Voilà un outil que j’aurais bien aimé avoir quand j’étais plus jeune ! Par exemple, nous avons demandé à ChatGPT de nous trouver une recette de risotto au parmesan et à la courge grillée pour 650 personnes. Eh bien, en moins de 30 secondes, plusieurs recettes nous ont été proposées avec les quantités exactes nécessaires pour 650 portions, et… ça fonctionne ! Disons qu’il peut dans certains cas sauver temps et problèmes cet outil futuriste ! Et quelle kyrielle d’idées est-ce ! Je voulais refaire ma banque de recettes de bouchées et canapés, alors j’ai demandé à Chat GPT de m’en trouver, et il n’y avait pas de fin aux informations qui sortaient de là. Pour offrir des idées de départ, c’est vraiment une grande source de trouvailles… » 

Puis notre entrevue passe au plaisir de manger et de cuisiner, de ce qu’il aime travailler en cuisine, de quelles sont ses grandes gourmandises : « Les fruits de mer, le crabe, le homard, les poissons, le flétan, c’est terrible comme j’aime le flétan ! Mais comme il est dommage qu’il soit si difficile d’avoir accès aux poissons de proximité ! Alors on ne prend pas le risque de vendre un menu avec des poissons ou des fruits de mer trop longtemps à l’avance, ce qui fait qu’on les travaille plus rarement en événementiel. Quel sera le prix ? Y aura-t-il une pénurie ? Même si le client est averti (et compréhensif), l’incertitude fait qu’on est plus réticent à proposer ces beaux produits du Québec en banquet. » Dites-moi, chef Gagné, quelle est la recette qui vous a le plus longtemps suivi dans votre carrière ? « Ah ! Une entrée composée de champignons rissolés tout simplement avec des oignons dans du beurre, agrémentés d’un soupçon de miel, puis déposés sur une galette de fromage de chèvre frais. Une recette simple qui a eu tellement de succès que je l’ai promenée dans tous les endroits où j’ai travaillé, en la revisitant au fil des années, et qui est encore enseignée à l’école de cuisine de Sherbrooke, le Centre 24-Juin, où j’ai appris mon métier. La simplicité a parfois de grandes qualités ! » 

Nous avons terminé cette entrevue avec les deux questions usuelles des articles de la série chou gras, alors si chef Gagné était un fruit, bleuet serait-il, et s’il était un légume, il serait un poireau. 

Complètement généreux et toujours prêt à relever de nouveaux défis ce chef Martin Gagné ! 

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Propos recueillis par Isabelle Ferland 
Avril 2023

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