Chou gras avec le chef Laurent Godbout - rencontre avec un grand chef
- 26 février 2017
... il est encore et toujours bien au fait de ce qui se passe dans sa province natale, des mouvements, des tendances et des histoires du monde de la gastronomie québécoise. Je l’avoue d’emblée, j’aime le personnage, même si parfois il brusque ou choque un peu dans ses façons ou ses idées. Laurent Godbout c’est un pur, un intègre, un passionné. Il peut être cinglant et dur, mais de sa part on l’accepte, car il fait ce qu’il dit et… il dit et voit grand.
Je commence l’entrevue de la même façon qu’avec tous les autres chefs que j’ai intérrogés: Si tu étais un fruit, lequel choisirais-tu? Il m’en donne deux fois plus pour mon argent; la framboise et la pomme. La framboise, car c’est le fruit le plus gouteux, celui dont il aime le plus la saveur. La pomme, pour ses multiples variétés, pour sa disponibilité 12 mois par année, parce qu’elle se travaille dans les plats sucrés comme ceux salés, pour son acidité, sa texture, les différentes couleurs de chair et de pelure...
S’il était un légume, il serait topinambour. Il affectionne particulièrement son gout de noisette, aime comment ce légume se travaille, se cuisine, se frit ou se confit ou encore se transforme en purée ou en chips. « C’est un légume qui se marie bien avec beaucoup d’autres saveurs! », s’exclame-t-il.
Le sort de Laurent s’est décidé avec un 25 sous. Face, il devenait cuisinier. Pile, il travaillait dans le domaine de la construction. Élizabeth a pris le dessus et le Québec a gagné un de ses meilleurs cuisiniers. Entré à l’école de cuisine à 16 ans, Laurent a choisi le parcours « professionnel court » pour sortir de l’école au plus vite. Il était certainement doué pour l’école mais le hic, c’est qu’il n’aimait pas cela. Plutôt actif, il trouvait le temps long sur les bancs de la classe et voulait sortir de l’école rapidement pour aller sur le marché du travail.
Un professeur l’a heureusement remarqué, suggérant à son talentueux élève de poursuivre ses études à Montréal. Mais, raconte le principal intéressé, quand on vient de Lac Mégantic, la grande ville peut impressionner et sembler bien grosse. Le professeur lui a alors parlé de l’école de cuisine de Sherbrooke, et c’est à cet endroit qu’il a acquis un DEP (Diplôme d’études professionnelles) et une ASP (Attestation de spécialisation professionnelle) en cuisine à 18 ans. Pendant ses études, les fins de semaine, Laurent revenait dans son patelin natal de Lac Mégantic, et travaillait de soir et de nuit dans une rôtisserie : il a ainsi fait ses armes en cuisine en préparant du poulet à la broche, des poutines et des clubs sandwichs.
Puis c’est au tour d’un professeur de Sherbrooke de repérer son élève et de lui suggérer de perfectionner ses compétences à l’Auberge Hatley, ce qu’il fait en 1987. Les propriétaires l’ont aimé, l’ont gardé et Laurent a découvert… la gastronomie.
Il quitte à 23 ans ses Cantons-de-l’Est chéris et devient chef cuisinier à St-Marc-sur-Richelieu, aux 3 Tilleuls. À 29 ans, il signe son premier bail pour créer un resto bien à lui, resto phare qui lui appartient toujours (ainsi qu'à sa femme Véronique), ici, comme en Floride maintenant : L’Épicier.
Il est bon. Excellent même. Il se distingue car il fait ce métier avec grande passion, même quand il travaille pour les autres, il le fait comme si c’est c’était pour lui. « Je suis comme ça dans n’importe quoi, professionnel et perfectionniste. C’est pareil quand je sable mes planchers. Tant qu’à le faire, je le fais du mieux que je peux. » Et c’est peu dire le concernant.
Sa meilleure idée de mets : le club sandwich au chocolat accompagné de frites d’ananas. Il a fait fureur lorsqu’il a été présenté pour la première fois et encore aujourd’hui tout le monde en parle et reconnait que l’idée est géniale.
Puis la conversation bifurque sur les aliments du Québec. « On devrait acheter le maximum d’aliments d’ici. Si tout le monde travaillait avec des aliments du Québec, l’économie de la province se porterait mieux et… (rires), peut-être que les gens auraient plus d’argent pour aller manger au restaurant! » Le gaspillage alimentaire le répugne, la colère lui monte au nez lorsqu’il entend que les carottes croches restent au champ. Et de poursuivre sur la récupération et l’utilisation de produits de la racine à la queue ou de la tête au pied. « Avec les pelures d’oignons que je déshydrate, je fais une poudre qui me sert à assaisonner des plats. Je fais infuser les pelures et les cœurs des pommes et j’incorpore le liquide ainsi obtenu à ma crème anglaise pour la parfumer. Certains légumes sont à la mode présentement mais tous les légumes devraient être à la mode. Il faut cuisiner avec ce qu’il y a de disponible chez nous! Dans les pays nordiques, les produits disponibles en hiver sont, par exemple, du chou et des betteraves. Eh bien les chefs se cassent la tête pour inventer toutes sortes de recettes à base de ces légumes! On devrait cuisiner avec des produits de chez nous et en parler! Ça fait partie de notre culture et de notre identité! »
Le temps manque pour poursuivre cette entrevue. Toujours sur un projet et sur un autre, Laurent se lance dans une nouvelle aventure en Floride dont on entendra surement parler dans un avenir rapproché. Le travail ne manque pas entre la gestion des restos en sol québécois soit l'Attelier Archibald et le Social, en plus des menus à confectionner pour le musée des Beaux-Arts et les 3 cabanes à sucre... On essaie, on crée, on fonce, on recommence. Peu d’obstacles lui résistent. Laurent est un battant, un gagnant. Voilà un bel exemple de détermination à suivre pour les jeunes chefs en devenir dans les écoles de cuisine à travers la province…
Allez! Bon soleil chef et longue vie à toi et à tes Épiciers, qu’ils soient dans la neige ou à la plage!
Propos recueillis et retranscrits par Isabelle Ferland pour Fraîcheur Québec